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terça-feira, 14 de dezembro de 2004

 
Cy Twombly

(des)aprender a desenhar (13)



Cy Twombly, Untitle, grafite, crayon, óleo e pastel s/papel, 1970, 51x72 cm.

Beaucoup de compositions rappellent, a-t-on dit, les scrawls des enfants. L'enfant, c'est l'infans, celui qui ne parle pas encore; mais l'enfant qui conduit la main de Twombly, lui, écrit déjà, c'est un écolier: papier quadrillé, crayon de couleur, bâtonnets alignés, lettres répétées, petits panaches de hachures, comme la fumée qui sort de la locomotive des dessins d'enfants. Cependant, une fois de plus, le stéréotype ("de quoi ça a l'air") se retourne subtilement. La production (graphique) de l'enfant n'est jamais idéelle: elle conjoint dans intermédiaire la marque objective de l'instrument (un crayon, objet commercial) et le ça du petit sujet qui pèse, appuie, insiste sur la feuille. Entre l'outil et la fantaisie, Twombly interpose l'idée: le crayon de couleur devient la couleur-crayon: la réminiscence (de l'écolier) se fait signe total: du temps, de la culture, de la société (ceci est proustien, plus que mallarméen).
La gaucherie est rarement légère; le plus souvent, gauchir, c'est appuyer; la vraie maladresse insiste, s'obstine, elle veut se faire aimer (tout comme l'enfant veut donner à voir ce qu'il fait, l'exhibe triomphalement à sa mère). Il appartient à Twombly de souvent renverser cette gaucherie très retorse dont j'ai parlé: cela n'appuie pas, bien au contraire, cela s'efface peu à peu, s'estompe, tout en gardant la délicate salissure du coup de gomme: la main a tracé quelque chose comme une fleur et puis s'est mise à traîner sur cette trace; la fleur a été écrite, puis désécrite; mais les deux mouvements restent vaguement surimprimés; c'est un palimpseste pervers: trois textes (si l'ont y ajoute la sorte de signature, de légende ou de citation: Sesostris) sont là, l'un tendent à effacer l'autre, mais à seule fin, dirait-on, de donner à lire cet effacement: véritable philosophie du temps. Comme toujours, il faut que la vie (l'art, le geste, le travail), témoigne sans désespoir de l'inéluctable disparition: en s'engendrant (tels ces a enchaînés selon un seul et même rond de main, répété, translaté), en donnant à lire leur engendrement (ce fut autrefois le sens de l'esquisse), les formes (du moins, à coup sûr, celles de Twombly) ne chantent pas plus les merveilles de la génération que les mornes stérilités de la répétition; elles ont à charge, dirait-on, de lier dans un seul état ce qui apparaît et ce qui disparaît; séparer l'exaltation de la vie et la peur de la mort, c'est plat; l'utopie, dont l'art peut être le langage, mais à quoi résiste toute la névrose humaine, c'est de produire un seul affect: ni Éros, ni Thanatos, mais Vie-Mort, d'une seule pensée, d'un seul geste. De cette utopie n'approchent ni l'art violent ni l'art glacé, mais plutôt, à mon goût, celui de Twombly, inclassable, parce qu'il conjoint, par une trace inimitable, l'inscription et l'effacement, l'enfance et la culture, la dérive et l'invention.

Roland Barthes in Cy Twombly ou «Non multa sed multum».


Cy Twombly, Untitle, grafite, crayon, óleo e pastel s/papel, 1970, 70x100 cm.



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