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sexta-feira, 27 de maio de 2005

 
Les Monocles


Foto de Anjel Burbano


Avant d'être le nom d'un instrument, le mot monocle s'appliqua à ceux qui avaient un seul oeil. Ainsi, dans un sonnet rédigé au début du XVII siècle, Gongora put dire:

Le monocle amoureux de Galatée.

Il entendait, bien sûr, Polyphème, de qui il avait dit, auparavant, dans la Fable:

C'était un mont de membres, éminent,
Ce fier fils de Neptune,
Qui illustre d'un oeil l'orbe de son front,
Émule presque du plus grand luminaire;
Cyclope à qui le plus valeureux pin
Obéissait comme un léger bâton;
Pour son grave poids le jonc semblait si mince
Qu'un jour il était canne, et l'autre, crosse.
Noir le cheveu, imitateur ondoyant
Des sombres eaux du Léthé,
Au vent orageux qui le peigne
Il vole sans ordre, il pend sans soin;
Sa barbe est un torrent impétueux
Qui, fils aduste de ce Pyrénée,
Inonde sa poitrine; tard, mal ou vainement
Sillonnée encore par les doigts de sa main...

Ces vers renchérissent sur certains et en affaiblissent d'autres du troisième livre de l'Énéide (loués par Quintilien) qui à leur tour renchérissent sur certains et en affaiblissent d'autres du neuvième livre de l'Odyssée. Cet appauvrissement littéraire correspond à un appauvrissement de la foi poétique; Virgile veut impressionner avec son Polyphème, mais il y croit à peine; quant à Gongora il ne croit qu'au jeu verbal ou aux artifices verbaux.
La nation des Cyclopes n'était pas la seule à n'avoir qu'un seul oeil; Pline (VII, 2) mentionne aussi les Arimaspes,

hommes remarquables car ils n'ont qu'un oeil, et celui-ci au milieu du front. Ils vivent en guerre perpétuelle avec les Griffons, sorte de monstres ailés, pour leur ravir l'or que ceux-ci extraient des entrailles de la terre et qu'ils défendent avec non moins d'ardeur que celle que mettent les Arimaspes à les en dépouiller.

Cinq cents ans plus tard, le premier encyclopédiste, Hérodote d'Halicarnasse, écrivait (III, 116):

Dans la partie nord, il semble qu'il y ait en Europe une très grande profusion d'or, mais je ne saurais dire ni où il se trouve ni d'où on l'extrait. On raconte que les Arimaspes monocles le volent aux Griffons; mais la fable est trop grossière pour qu'on puisse croire qu'il existe au monde des hommes qui ont au milieu du visage un seul oeil et sont, pour le reste, comme les autres.

J.L. Borges e Margarita Guerrero in Le Livre des Êtres Imaginaires, 1978.



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