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segunda-feira, 1 de agosto de 2005

 
Coisas esquecidas

Je viens de parler de liberté... Il y a la liberté tout court, et la liberté des esprits.
Tout ceci sort un peu de mon sujet, mais il faut cependent s'y attarder quelque peu. La liberté, mot immense, mot que la politique a largement utilisé — mais qu'elle proscrit, çà et là, depuis quelques années —, la liberté a été un idéal, un mythe; elle a été un mot plein de promesses pour les uns, un mot gros de menaces pour les autres! un mot qui a dressé les hommes et remué les pavés. Un mot qui était le mot de ralliement de ceux qui semblaient le plus faibles et qui se sentaient le plus forts, contre ceux qui semblaient le plus forts et qui ne se sentaient pas le plus faibles.
Cette liberté politique est difficilement séparable des notions d'égalité, des notions de souveraineté; mais elle est difficilement compatible avec l'idée d'ordre; et parfois avec l'idée de justice.
Mais ce n'est pas là mon sujet.
J'en reviens à l'esprit. Lorsqu'on examine d'un peu plus près toutes ces libertés politiques, on arrive rapidement à considérer la liberté de pensée.
La liberté de pensée se confond dans les esprits avec la liberté de publier, qui n'est pas la même chose.
On n'a jamais empêché personne de penser à sa guise. Ce serait difficile; à moins d'avoir des appareils pour dépister la pensée dans les cerveaux. On y arrivera certainement, mais nous n'y sommes pas tout à fait, et nous ne souhaitons pas cette découverte-là!... La liberté de pensée, en attendant, existe donc — sans la mesure où elle n'est pas bornée par la pensée même.
C'est très joli d'avoir la liberté de penser, mais encore faut-il penser à quelque chose!...
Mais dans l'usage le plus ordinaire quand on dit liberté de penser, on veut dire liberté de publier, ou bien liberté d'enseigner.
Cette liberté-là donne lieu à des graves problèmes: il y a toujours quelque difficulté qu'elle suscite; et tantôt la Nation, tantôt l'Etat, tantôt l'Eglise, tantôt l'Ecole, tantôt la Famille, ont trouvé à redire à la liberté de penser en publiant, de penser publiquement ou d'enseigner.
Ce sont là autant de puissances plus ou moins jalouses des manifestations extérieures de l'individu pensant.
(...)
La politique, contrainte de falsifier toutes les valeurs que l'esprit a pour mission de contrôler, admet toutes les falsifications, ou toutes les réticences qui lui conviennent, qui sont d'accord avec elle et repousse même violemment, ou interdit toutes celles qui ne le sont pas.
En somme, qu'est-ce que c'est que la politique?... La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir; elle exige, par conséquent, une action de contrainte ou d'illusion sur les esprits, qui sont la matière de tout pouvoir.
Tout pouvoir songe nécessairement à empêcher la publication des choses qui ne conviennent pas à son exercice. Il s'y emploie de son mieux. L'esprit politique finit toujours par être contraint de falsifier. Il introduit dans la circulation, dans le commerce, de la fausse monnaie intellectuelle; il introduit des notions historiques falsifiées; il construit des raisonnements spécieux; en somme, il se permet tout ce qu'il faut pour conserver son autorité, qu'on appelle, je ne sais pourquoi, morale.
Il faut avouer que dans tous les cas possibles, politique et liberté d'esprit s'excluent. Celle-ci est l'ennemie essentielle des partis, comme elle l'est, d'autre part, de toute doctrine en possession du pouvoir.

Paul Valéry in Regards sur le monde actuel, 1927.



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