quarta-feira, 22 de março de 2006
Le travail du peintre
A Picasso.
Foto de Lilya Corneli
I
Entoure ce citron de blanc d'œuf informe
Enrobe ce blanc d'œuf d'un azur souple et fin
La ligne droite et noire a beau venir de toi
L'aube est derrière ton tableau
Et des murs innombrables croulent
Derrière ton tableau et toi l'oeil fixe
Comme un aveugle comme un fou
Tu dresses une haute épée vers le vide
Une main pourquoi pas une seconde main
Et pourquoi pas la bouche nue comme une plume
Pourquoi pas un sourire et pourquoi pas des larmes
Tout au bord de la toile où jouent les petits clous
Voici le jour d'autrui laisse aux ombres leur chance
Et d'un seul mouvement des paupières renonce
II
Tu dressais une haute épée
Comme un drapeau au vent contraire
Tu dressais ton regard contre l'ombre et le vent
Des ténèbres confondantes
Tu n'as pas voulu partager
II n'y a rien à attendre de rien
La pierre ne tombera pas sur toi
Ni l'éloge complaisant
Dur contempteur avance en renonçant
Le plaisir naît au sein de ton refus
L'art pourrait être une grimace
Tu le réduis à n'être qu'une porte
Ouverte par laquelle entre la vie
III
Et l'image conventionnelle du raisin
Posé sur le tapis l'image
Conventionnelle de l'épée
Dressée vers le vide point d'exclamation
Point de stupeur et d'hébétude
Qui donc pourra me la reprocher
Qui donc pourra te reprocher la pose
Immémoriale de tout homme en proie à l'ombre
Les autres sont de l'ombre mais les autres portent
Un fardeau aussi lourd que le tien
Tu es une des branches de l'étoile d'ombre
Qui détermine la lumière
Ils ne nous font pas rire ceux qui parlent d'ombre
Dans les souterrains de la mort
Ceux qui croient au désastre et qui charment leur mort
De mille et une vanités sans une épine
Nous nous portons notre sac de charbon
A l'incendie qui nous confond
IV
Tout commence par des images
Disaient les fous frères de rien
Moi je relie par des images
Toutes les aubes au grand jour
J'ai la meilleure conscience
De nos désirs Sa sont gentils
Doux et violents comme des faux
Dans l'herbe tendre et rougissante
Aujourd'hui nous voulons manger
Ensemble ou bien jouer et rire
Aujourd'hui je voudrais aller
En U. R. S. S. ou bien me reposer
Avec mon cœur à l'épousée
Avec le pouvoir de bien faire
Et l'espoir fort comme une gerbe
De mains liées sur un baiser
V
Picasso mon ami dément
Mon ami sage hors frontières
II n'y a rien sur notre terre
Qui ne soit plus pur que ton nom
J'aime à le dire j'aime à dire
Que tous tes gestes sont signés
Car à partir de là les hommes
Sont justifiés à leur grandeur
Et leur grandeur est différente
Et leur grandeur est tout égale
Elle se tient sur le pavé
Elle se dent sur leurs désirs
VI
Toujours c'est une affaire d'algues
De chevelures de terrains
Une affaire d'amis sincères
Avec des fièvres de fruits mûrs
De morts anciennes de fleurs jeunes
Dans des bouquets incorruptibles
Et la vie donne tout son cœur
Et la mort donne son secret
Une affaire d'amis sincères
A travers les âges parents
La création quotidienne
Dans le bonjour indifférent
VII
Rideau il n'y a pas de rideau
Mais quelques marches à monter
Quelques marches à construire
Sans fatigue et sans soucis
Le travail deviendra un plaisir
Nous n'en avons jamais douté nous savons bien
Que la souffrance est en surcharge et nous voulons
Des textes neufs des toiles vierges après l'amour
Des yeux comme des enclumes
La vue comme l'horizon
Des mains au seuil de connaître
Comme biscuits dans du vin
Et le seul but d'être premier partout
Jour partagé caresse sans degré
Cher camarade à toi d'être premier
Dernier au monde en un monde premier
Paul Eluard in Poésie inintérompue, 1945.
A Picasso.
Foto de Lilya Corneli
I
Entoure ce citron de blanc d'œuf informe
Enrobe ce blanc d'œuf d'un azur souple et fin
La ligne droite et noire a beau venir de toi
L'aube est derrière ton tableau
Et des murs innombrables croulent
Derrière ton tableau et toi l'oeil fixe
Comme un aveugle comme un fou
Tu dresses une haute épée vers le vide
Une main pourquoi pas une seconde main
Et pourquoi pas la bouche nue comme une plume
Pourquoi pas un sourire et pourquoi pas des larmes
Tout au bord de la toile où jouent les petits clous
Voici le jour d'autrui laisse aux ombres leur chance
Et d'un seul mouvement des paupières renonce
II
Tu dressais une haute épée
Comme un drapeau au vent contraire
Tu dressais ton regard contre l'ombre et le vent
Des ténèbres confondantes
Tu n'as pas voulu partager
II n'y a rien à attendre de rien
La pierre ne tombera pas sur toi
Ni l'éloge complaisant
Dur contempteur avance en renonçant
Le plaisir naît au sein de ton refus
L'art pourrait être une grimace
Tu le réduis à n'être qu'une porte
Ouverte par laquelle entre la vie
III
Et l'image conventionnelle du raisin
Posé sur le tapis l'image
Conventionnelle de l'épée
Dressée vers le vide point d'exclamation
Point de stupeur et d'hébétude
Qui donc pourra me la reprocher
Qui donc pourra te reprocher la pose
Immémoriale de tout homme en proie à l'ombre
Les autres sont de l'ombre mais les autres portent
Un fardeau aussi lourd que le tien
Tu es une des branches de l'étoile d'ombre
Qui détermine la lumière
Ils ne nous font pas rire ceux qui parlent d'ombre
Dans les souterrains de la mort
Ceux qui croient au désastre et qui charment leur mort
De mille et une vanités sans une épine
Nous nous portons notre sac de charbon
A l'incendie qui nous confond
IV
Tout commence par des images
Disaient les fous frères de rien
Moi je relie par des images
Toutes les aubes au grand jour
J'ai la meilleure conscience
De nos désirs Sa sont gentils
Doux et violents comme des faux
Dans l'herbe tendre et rougissante
Aujourd'hui nous voulons manger
Ensemble ou bien jouer et rire
Aujourd'hui je voudrais aller
En U. R. S. S. ou bien me reposer
Avec mon cœur à l'épousée
Avec le pouvoir de bien faire
Et l'espoir fort comme une gerbe
De mains liées sur un baiser
V
Picasso mon ami dément
Mon ami sage hors frontières
II n'y a rien sur notre terre
Qui ne soit plus pur que ton nom
J'aime à le dire j'aime à dire
Que tous tes gestes sont signés
Car à partir de là les hommes
Sont justifiés à leur grandeur
Et leur grandeur est différente
Et leur grandeur est tout égale
Elle se tient sur le pavé
Elle se dent sur leurs désirs
VI
Toujours c'est une affaire d'algues
De chevelures de terrains
Une affaire d'amis sincères
Avec des fièvres de fruits mûrs
De morts anciennes de fleurs jeunes
Dans des bouquets incorruptibles
Et la vie donne tout son cœur
Et la mort donne son secret
Une affaire d'amis sincères
A travers les âges parents
La création quotidienne
Dans le bonjour indifférent
VII
Rideau il n'y a pas de rideau
Mais quelques marches à monter
Quelques marches à construire
Sans fatigue et sans soucis
Le travail deviendra un plaisir
Nous n'en avons jamais douté nous savons bien
Que la souffrance est en surcharge et nous voulons
Des textes neufs des toiles vierges après l'amour
Des yeux comme des enclumes
La vue comme l'horizon
Des mains au seuil de connaître
Comme biscuits dans du vin
Et le seul but d'être premier partout
Jour partagé caresse sans degré
Cher camarade à toi d'être premier
Dernier au monde en un monde premier
Paul Eluard in Poésie inintérompue, 1945.