quarta-feira, 14 de outubro de 2009
Páginas notáveis (6)
Sommes-nous donc vraiment si différents? Il est étrange de constater qu'au moment où l'Europe et l'Amérique n'ont jamais été aussi semblables sur le plan culturel, le fossé n'a jamais été aussi grand.
Cela dit, malgré tous les points communs entre les vies quotidiennes des citoyens des pays européens les plus riches et celles des Américains, ce fossé, entre les expériences européennes et américaines, est bien réel, il est fondé sur d'importantes différences historiques, sur des conceptions différentes du rôle de la culture, ou des souvenirs du passé, vrais ou imaginaires. Cet antagonisme — car il y a bien antagonisme — ne pourra se régler dans le futur proche, malgré toute la bonne volonté de nombreuses personnes, des deux côtés de l'Atlantique. Et, pourtant, on ne peut que regretter vivement qu'il y en ait d'autres pour accentuer ces différences, lorsque nous avons tant en commun.
La domination de l'Amérique est un fait. Mais l'Amérique, comme son gouvernement actuel est en train de le percevoir, ne peut pas tout faire toute seule. L'avenir du monde — de ce monde que nous partageons — est syncrétique, mélangé. Nous ne sommes pas hermétiquement isolés les uns des autres. De plus en plus, nous nous infiltrons les uns dans les autres.
Au bout du compte, le modèle pour toute compréhension — ou toute conciliation — à laquelle nous pourrions parvenir est à chercher du côté d'une réflexion plus importante sur cette vénérable opposition entre l'"ancien" et le "nouveau". L'opposition entre "civilisation" et "barbarie" est essentiellement artificielle; la penser et pontifier sur elle ne peut que corrompre — même si elle reflète bien certaines réalités. Mais l'opposition entre l'"ancien" et le "nouveau" est authentique, irréductible, elle est au centre de ce que nous comprenons comme l'expérience.
L'"ancien" et le "nouveau" sont les pôles pérennes de tout sentiment et de tout sens de l'orientation dans ce monde. Nous ne pouvons rien faire sans l'ancien, parce que c'est dans ce qui est ancien que sont investis tout notre passé, toute notre sagesse, tous nos souvenirs, toute notre tristesse, tout notre sens du réalisme. Nous ne pouvons rien faire si nous n'avons pas foi dans le nouveau, parce que c'est dans le nouveau que sont investis toute notre énergie, toutes nos réserves d'optimisme, tous nos aveugles désirs biologiques, toute notre capacité à oublier — cette capacité à la guérison sans laquelle aucune réconciliation n'est possible.
Susan Sontag in Garder le sens mais altérer la forme, 2003.
Sommes-nous donc vraiment si différents? Il est étrange de constater qu'au moment où l'Europe et l'Amérique n'ont jamais été aussi semblables sur le plan culturel, le fossé n'a jamais été aussi grand.
Cela dit, malgré tous les points communs entre les vies quotidiennes des citoyens des pays européens les plus riches et celles des Américains, ce fossé, entre les expériences européennes et américaines, est bien réel, il est fondé sur d'importantes différences historiques, sur des conceptions différentes du rôle de la culture, ou des souvenirs du passé, vrais ou imaginaires. Cet antagonisme — car il y a bien antagonisme — ne pourra se régler dans le futur proche, malgré toute la bonne volonté de nombreuses personnes, des deux côtés de l'Atlantique. Et, pourtant, on ne peut que regretter vivement qu'il y en ait d'autres pour accentuer ces différences, lorsque nous avons tant en commun.
La domination de l'Amérique est un fait. Mais l'Amérique, comme son gouvernement actuel est en train de le percevoir, ne peut pas tout faire toute seule. L'avenir du monde — de ce monde que nous partageons — est syncrétique, mélangé. Nous ne sommes pas hermétiquement isolés les uns des autres. De plus en plus, nous nous infiltrons les uns dans les autres.
Au bout du compte, le modèle pour toute compréhension — ou toute conciliation — à laquelle nous pourrions parvenir est à chercher du côté d'une réflexion plus importante sur cette vénérable opposition entre l'"ancien" et le "nouveau". L'opposition entre "civilisation" et "barbarie" est essentiellement artificielle; la penser et pontifier sur elle ne peut que corrompre — même si elle reflète bien certaines réalités. Mais l'opposition entre l'"ancien" et le "nouveau" est authentique, irréductible, elle est au centre de ce que nous comprenons comme l'expérience.
L'"ancien" et le "nouveau" sont les pôles pérennes de tout sentiment et de tout sens de l'orientation dans ce monde. Nous ne pouvons rien faire sans l'ancien, parce que c'est dans ce qui est ancien que sont investis tout notre passé, toute notre sagesse, tous nos souvenirs, toute notre tristesse, tout notre sens du réalisme. Nous ne pouvons rien faire si nous n'avons pas foi dans le nouveau, parce que c'est dans le nouveau que sont investis toute notre énergie, toutes nos réserves d'optimisme, tous nos aveugles désirs biologiques, toute notre capacité à oublier — cette capacité à la guérison sans laquelle aucune réconciliation n'est possible.
Susan Sontag in Garder le sens mais altérer la forme, 2003.