domingo, 21 de março de 2010
Au Commencement (VI)
Il est clair pour moi que le fait que tu aies écouté les morceaux en entier a provoqué un certain trouble (c'est le cas pour les tableaux comme pour les morceaux de musique) là où il s'agit d'une dramaturgie et de tensions qui parcourent mon propre univers. La sélection que tu as faite concernant les morceaux qui entrent en ligne de compte est parfaitement logique et je crois très bien comprendre ce dont il s'agit pour toi (l'idée d'état et celle, du reste aussi, de rupture pourraient être des clés!) dans le deuxième quatuor à cordes. En effet, c'est un point à développer ici..., l'aspect ténu, l'unisson (ici aussi un possible point de départ), la fragilité et la tristesse dans les passages des "pièces libres" que tu cites, le labyrinthe — le début d'un fil d'Ariane qui se perd...— et avant tout Armonica! Il y a au demeurant ici une intéressante concordance entre ce que tu désignes par "passages entre les îles" et mon mode de travail dans Armonica: elle réside dans l'idée de transition en soi. Le fait que le morceau commence à partir du néant — un moyen clairement défini, qu'il ait un paroxysme et que tout finisse de nouveau dans le néant, n'est pas uniquement une enveloppe formelle, ce sont des principes, des pierres angulaires formelles. Pour moi, il ne s'agit pas de A ou de B, mais exclusivement de la manière dont (intérieurement) je vais de A à B. L'ensemble du morceau n'est qu'une seule et unique étude voluptueuse sur le passage. Comme nous l'envisagions précédemment, elle nous permet d'ailleurs de jouer Armonica en entier. Le morceau a, certes, sa propre dramaturgie, très logique en soi, mais d'autre part c'est comme une atmosphère grâce à l'absence totale d'accents, de durcissements et par l'occultation permanente de phénomènes vibratoires. Tout se métamorphose constamment et correspond donc exactement à ce que tu cites des Métamorphoses d'Ovide. Il faudrait peut-être que (du moins du point de vue musical) le morceau finisse comme s'il était la quintessence de l'oeuvre d'art total qui doit naître. En effet, le son disparaît à la fin dans le néant. Ce serait une belle opposition par rapport au début tel que tu le décris, à cette chute de plomb qui déclenche tout.
Une chose est de plus en plus claire pour moi: il faut que, musicalement, tout jaillisse littéralement du néant. Le principe de base doit être le suivant (pour rester dans le sens du visuel): un silence de plomb et une fosse d'orchestre réellement muette, ensuite "amenée à jouer", puis une quasi-formulation du mutisme, le silence si tu veux, un frémissement de fond qui tantôt s'amplifie, de véritables sons, des hauteurs tonales, ensuite de nouveau le silence, puis des hésitations, comme un tâtonnement et avant tout, de nouveau, le silence. Je crois (d'après tout ce que j'ai pu déduire de ta lettre) que tout ce qui suit n'a pas lieu d'être: une dramaturgie classique, encore moins une dramaturgie d'opéra. Rien qui puisse se fonder sur une forme traditionnelle d'intensification. Le mieux serait — et tu me comprends bien ici — que l'on ne perçoive absolument pas la musique comme telle. Elle n'est pas là non plus. Elle deviendra plus concrète lors des transitions (d'une île à l'autre), elle pourra même prendre une forme plus tangible (quelques secondes et peut-être même une à deux minutes; ainsi, une apparition ritualisée "artificielle" d'Isabel pourrait être magique). La musique n'aura le droit d'éclater, de gémir, de glapir que dans quelques passages que tu devras définir (comme le plomb du début). Mais écoute donc peut-être encore une fois le nº2 des "Pièces libres". (À ce propos, je pense toujours au dangereux côté branlant de tes tours.) C'est un son infernal que l'on entend d'abord de loin et qui se rapproche de façon menaçante (grâce à une structure glissando systématique, mais qui reste curieusement abstraite). Est-elle encore trop concrète? Il en émane une aura apocalyptique, menaçante et fantomatique.
Excerto (2º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Une chose est de plus en plus claire pour moi: il faut que, musicalement, tout jaillisse littéralement du néant. Le principe de base doit être le suivant (pour rester dans le sens du visuel): un silence de plomb et une fosse d'orchestre réellement muette, ensuite "amenée à jouer", puis une quasi-formulation du mutisme, le silence si tu veux, un frémissement de fond qui tantôt s'amplifie, de véritables sons, des hauteurs tonales, ensuite de nouveau le silence, puis des hésitations, comme un tâtonnement et avant tout, de nouveau, le silence. Je crois (d'après tout ce que j'ai pu déduire de ta lettre) que tout ce qui suit n'a pas lieu d'être: une dramaturgie classique, encore moins une dramaturgie d'opéra. Rien qui puisse se fonder sur une forme traditionnelle d'intensification. Le mieux serait — et tu me comprends bien ici — que l'on ne perçoive absolument pas la musique comme telle. Elle n'est pas là non plus. Elle deviendra plus concrète lors des transitions (d'une île à l'autre), elle pourra même prendre une forme plus tangible (quelques secondes et peut-être même une à deux minutes; ainsi, une apparition ritualisée "artificielle" d'Isabel pourrait être magique). La musique n'aura le droit d'éclater, de gémir, de glapir que dans quelques passages que tu devras définir (comme le plomb du début). Mais écoute donc peut-être encore une fois le nº2 des "Pièces libres". (À ce propos, je pense toujours au dangereux côté branlant de tes tours.) C'est un son infernal que l'on entend d'abord de loin et qui se rapproche de façon menaçante (grâce à une structure glissando systématique, mais qui reste curieusement abstraite). Est-elle encore trop concrète? Il en émane une aura apocalyptique, menaçante et fantomatique.
Excerto (2º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.