sábado, 17 de julho de 2010
Páginas notáveis (25)
L'hostilité aux bâtisseurs de système est depuis plus d'un siècle un trait constant du bon goût intellectuel: Kierkegaard, Nietzsche, Wittgenstein comptent parmi les nombreuses voix qui, au nom d'une singularité supérieure, à peine supportable, proclament l'absurdité des systèmes. Sous sa forme moderne forte, le mépris des systèmes est un des aspects de la contestation de la Loi et du Pouvoir lui-même. Sous une forme plus ancienne et plus douce, ce refus fait partie de la tradition sceptique française, de Montaigne à Gide: des écrivains qui se comportent en gourmets par rapport à leur propre conscience sont prédisposés à dénoncer «la sclérose des systèmes», expression dont Barthes se servit dans son premier essai, consacré à Gide. Et avec ces refus s'est développée une stylistique spécifiquement moderne, dont le prototype remonte au moins à Sterne et aux romantiques allemands: l'invention de formes de récit anti-linéaires; dans le domaine de la fiction, c'est la destruction de l'«histoire»; dans celui de l'essai, c'est l'abandon du développement linéaire. Le fait de présumer impossible (ou sans intérêt) de produire un développement systématique continu a conduit à remodeler les grandes formes établies (le traité, le livre long) et à redistribuer les genres de la fiction, de l'autobiographie et de l'essai. De cette stylistique, Barthes est un praticien particulièrement inventif.
Pour la sensibilité romantique et post-romantique, dans tout livre, l'auteur se donne en représentation: écrire est un acte théâtral, soumis à une élaboration théâtrale.
Susan Sontag in L'écriture même: à propos de Barthes, 1982.