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domingo, 5 de setembro de 2010

 
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Chez nous on cache son visage. Le corps, pas d'importance. Le corps va nu sous le soleil, le blond soleil qui brûle le jour, qui brûle la nuit.

Car chez nous il n'y a pas de nuit. Ce qu'on appele la nuit c'est par commodité, quand l'amour vient aux amoureux, quand deux corps se serrent l'un contre l'autre comme deux épis de blé sous le même vent. Quand deux amants mélangent leurs jambes, on dit qu'ils font la nuit. Une nuit privée, une petite nuit de rien du tout pour deux personnes, deux corps légers sous le soleil.

Même quand ils font la nuit, les amants ne se montrent pas le visage. Interdit. Intouchable. Impensable.

Aucun visage à découvert, jamais.

Les corps, la minutieuse contemplation des corps, des plis d'une peau, des frémissements d'un dos, des lumières d'une main, oui les corps remplissent à merveille cette fonction de connaissance que vous attribuez chez vous aux visages.

Autant vous le dire tout de suite: on ne vous envie pas. On ne vous envie pas du tout. On a lu vos livres. On a entendu vos prêtres et vos marchands. Nous ne trouvons rien d'enviable à votre état: visages sur les murs, visages sur les écrans, visages sur les journaux. Vous avez tout fait avec votre visage. Vous l'avez adoré, vous l'avez couvert de crachats. Vous en avez barbouillé vos miroirs, vous l'avez peint en or dans vos églises et il paraît même que vous l'avez couché sur votre monnaie.
Oh comme nous vous plaignons.

Nous aussi nous avons nos prêtres, nos marchands et nos soldats. Nous ne sommes pas des sauvages. La différence c'est le visage. Multiplié chez vous, interdit chez nous. C'est une petite différence, si vous voulez. L'infini fait toujours une très petite différence.

L'infini est chez nous comme chez lui.

Dès la naissance le visage de l'enfant est recouvert d'un linge bleu. L'enfant grandit et le tissu grandit avec lui. Jamais il ne le quitte, jamais il ne l'enlève. C'est un état qui procure bien des avantages: les parents ne prennent pas leur orgueil dans le visage de leurs enfants. Les enfants ne trouvent pas leur souci dans le visage de leurs parents.

Ce qu'on ne peut voir, on peut l'écrire. Nous avons une abondante littérature, avec beaucoup d'histoires de visages nus comme l'eau de pluie, nus comme la mie du pain.

Le corps, non, c'est pas notre souci. Le corps n'a pas besoin de linge. Le corps chez nous est comme l'été chez vous: il donne rires et fraîcheur, jeux et repos. Le corps chez nous est comme un été qui ne s'en irait pas vers l'hiver. Passé un certain âge, nous ne vieillissons plus. Bras et jambes comme de l'eau. Seins comme des fleurs. Pas de rides, pas d'usure.

Chez nous la mort vient par le visage. Elle vient par-dessous le linge bleu, comme tout le reste, comme les murmures de l'amour, les langueurs du songe. Chez nous la mort n'est pas d'une autre nature que l'amour ou le songe.

Quand la mort touche le visage, nous en sommes aussitôt informés par le changement du linge. De bleu il devient blanc. Le passage d'une teinte à l'autre peut prendre des mois. Le corps lui ne bouge pas — à peine une petite fièvre.

Nos mors sont mis dans une barque. Où va la barque sur le fleuve clair, nous l'ignorons. Seul peut savoir le grand passeur, celui dont nous ne savons rien, sinon qu'il est.

Il se tient à l'embouchure du fleuve. Avec une perche longue, très longue, il ramène la barque auprès de lui, sur la rive. Il se penche sur le mort encore tiède.

D'un geste vif il enlève le tissu blanc, découvrant notre vrai visage.

Le vrai, vous comprenez: pas un visage comme nous l'imaginions dans nos livres, comme nous l'espérions dans nos rêves, pas même le visage que nous aurions vu en soulevant, avant l'heure, le carré de ciel bleu.

Le vrai, l'autre visage.


Christian Bobin in La Présence pure, 2009.



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