quarta-feira, 31 de março de 2010
Au Commencement (VII)
Le mieux serait que cela dure de longues minutes jusqu'à ce que les spectateurs perçoivent que c'est déjà réellement un son. Juste un bruissement. Puis il y aurait une autre longueur jusqu'à ce que le premier son retentisse. Lequel, à son tour, devrait être une sorte de SON ÉTERNEL, qui enfle et décroît (ou s'interrompt). Puis de nouveau le silence, etc., jusqu'à ce que quelque chose se matérialise et s'interrompe de nouveau. Mais il subsisterait peut-être chaque fois un peu plus de "surface sonore". Si tu veux qu'il en subsiste toujours un peu plus jusqu'à ce qu'enfin (ce qui est alors logique) retentisse la totalité d'Armonica (environ 14 minutes), je pense que je devrai recomposer et développer le thème de la disparition dans un état initial, dans le néant. Cela pourrait être assez bouleversant, cinq à sept minutes d'interruption, toujours un petit embrasement (cinq fois piano!), mais toujours plus froid, avec l'agrégation d'un autre état (on devinerait une sorte de "musique de l'eau", presque une "musique sous-marine".
J'espère que tu perçois et comprends mon inquiétude et aussi mes angoisses (concernant ce que je fais et surtout aussi quant à mon imagination formelle). Il n'y a pas de modèle pour ce type de musique dans un contexte théâtral. On a une scène de théâtre mais pas le droit d'avoir de la musique de théâtre (surtout qu'au lieu d'avoir une action réelle sur scène au sens classique du terme, le projet semble s'orienter vers l'installation, la situation, l'état). Une scène d'opéra mais pas de musique d'opéra. Un développement (tel qu'il est représenté par chaque action sur scène) mais au sein d'une situation clairement définie, qui (ce qui n'est pas un jugement critique) est par principe a-dramatique. La magie doit naître autrement. Je dois penser la musique autrement que je ne l'ai fait jusqu'à présent. Or (à ce qu'il semble), c'est fabuleux et séduisant de pouvoir disposer d'un orchestre (nos "silences" retentiront de manière fascinante). Mais cela représente infiniment de travail, de travail d'écriture, d'instrumentation. Cela ne me rebute pas, mais j'ai un peu peur qu'au terme le résultat ne te convienne pas, qu'il faille supprimer, modifier, raccourcir ou que l'on constate que c'est bien trop court. Ce sont des situations normales dans le théâtre, mais je ne peux pas réécrire tout un morceau nouveau pour orchestre en une nuit, ni même modifier simplement certains passages à la va-vite. J'en ai mal aux ventre. Ce qu'il y a de particulier et de fascinant dans ce projet est notamment l'impondérable, le jamais-vu, un genre qui, en vérité, vient d'être inventé. Pour la pratique, c'est la transposition musicale qui m'inquiète le plus. Plus tu pourras déterminer en amont la succession des actions sur scène, mieux ce sera. Il faudrait aussi m'indiquer où il doit y avoir de la musique et où il n'y en aura pas, où il en faut absolument, où, en aucun cas. Quant à la sonorité de cette musique, tu la décris merveilleusement bien avec tes mots qui me stimulent (malgré mon désespoir passager et ma perplexité) à tel point que j'aimerais bien transformer la dernière phrase de ta lettre ("la musique échoue" en "que la musique réussisse!").
Bien à toi
Ton Jörg
Excerto (3º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
J'espère que tu perçois et comprends mon inquiétude et aussi mes angoisses (concernant ce que je fais et surtout aussi quant à mon imagination formelle). Il n'y a pas de modèle pour ce type de musique dans un contexte théâtral. On a une scène de théâtre mais pas le droit d'avoir de la musique de théâtre (surtout qu'au lieu d'avoir une action réelle sur scène au sens classique du terme, le projet semble s'orienter vers l'installation, la situation, l'état). Une scène d'opéra mais pas de musique d'opéra. Un développement (tel qu'il est représenté par chaque action sur scène) mais au sein d'une situation clairement définie, qui (ce qui n'est pas un jugement critique) est par principe a-dramatique. La magie doit naître autrement. Je dois penser la musique autrement que je ne l'ai fait jusqu'à présent. Or (à ce qu'il semble), c'est fabuleux et séduisant de pouvoir disposer d'un orchestre (nos "silences" retentiront de manière fascinante). Mais cela représente infiniment de travail, de travail d'écriture, d'instrumentation. Cela ne me rebute pas, mais j'ai un peu peur qu'au terme le résultat ne te convienne pas, qu'il faille supprimer, modifier, raccourcir ou que l'on constate que c'est bien trop court. Ce sont des situations normales dans le théâtre, mais je ne peux pas réécrire tout un morceau nouveau pour orchestre en une nuit, ni même modifier simplement certains passages à la va-vite. J'en ai mal aux ventre. Ce qu'il y a de particulier et de fascinant dans ce projet est notamment l'impondérable, le jamais-vu, un genre qui, en vérité, vient d'être inventé. Pour la pratique, c'est la transposition musicale qui m'inquiète le plus. Plus tu pourras déterminer en amont la succession des actions sur scène, mieux ce sera. Il faudrait aussi m'indiquer où il doit y avoir de la musique et où il n'y en aura pas, où il en faut absolument, où, en aucun cas. Quant à la sonorité de cette musique, tu la décris merveilleusement bien avec tes mots qui me stimulent (malgré mon désespoir passager et ma perplexité) à tel point que j'aimerais bien transformer la dernière phrase de ta lettre ("la musique échoue" en "que la musique réussisse!").
Bien à toi
Ton Jörg
Excerto (3º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
quarta-feira, 24 de março de 2010
Cosa Nostra
Despesa Corrente do Estado em 2004: 59.368 milhões de euros
Governos Sócrates:
Despesa Corrente do Estado em 2005: 64.567 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2006: 66.646 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2007: 69.007 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2008: 71.938 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2009: 73.968 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2010: 75.610 milhões de euros
E vai continuar: o ministro explica aqui.
Governos Sócrates:
Despesa Corrente do Estado em 2005: 64.567 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2006: 66.646 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2007: 69.007 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2008: 71.938 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2009: 73.968 milhões de euros
Despesa Corrente do Estado em 2010: 75.610 milhões de euros
E vai continuar: o ministro explica aqui.
terça-feira, 23 de março de 2010
A ler
José Mendonça da Cruz no Corta-fitas: Lágrimas de crocodilo.
José Mendonça da Cruz no Corta-fitas: Lágrimas de crocodilo.
domingo, 21 de março de 2010
Au Commencement (VI)
Il est clair pour moi que le fait que tu aies écouté les morceaux en entier a provoqué un certain trouble (c'est le cas pour les tableaux comme pour les morceaux de musique) là où il s'agit d'une dramaturgie et de tensions qui parcourent mon propre univers. La sélection que tu as faite concernant les morceaux qui entrent en ligne de compte est parfaitement logique et je crois très bien comprendre ce dont il s'agit pour toi (l'idée d'état et celle, du reste aussi, de rupture pourraient être des clés!) dans le deuxième quatuor à cordes. En effet, c'est un point à développer ici..., l'aspect ténu, l'unisson (ici aussi un possible point de départ), la fragilité et la tristesse dans les passages des "pièces libres" que tu cites, le labyrinthe — le début d'un fil d'Ariane qui se perd...— et avant tout Armonica! Il y a au demeurant ici une intéressante concordance entre ce que tu désignes par "passages entre les îles" et mon mode de travail dans Armonica: elle réside dans l'idée de transition en soi. Le fait que le morceau commence à partir du néant — un moyen clairement défini, qu'il ait un paroxysme et que tout finisse de nouveau dans le néant, n'est pas uniquement une enveloppe formelle, ce sont des principes, des pierres angulaires formelles. Pour moi, il ne s'agit pas de A ou de B, mais exclusivement de la manière dont (intérieurement) je vais de A à B. L'ensemble du morceau n'est qu'une seule et unique étude voluptueuse sur le passage. Comme nous l'envisagions précédemment, elle nous permet d'ailleurs de jouer Armonica en entier. Le morceau a, certes, sa propre dramaturgie, très logique en soi, mais d'autre part c'est comme une atmosphère grâce à l'absence totale d'accents, de durcissements et par l'occultation permanente de phénomènes vibratoires. Tout se métamorphose constamment et correspond donc exactement à ce que tu cites des Métamorphoses d'Ovide. Il faudrait peut-être que (du moins du point de vue musical) le morceau finisse comme s'il était la quintessence de l'oeuvre d'art total qui doit naître. En effet, le son disparaît à la fin dans le néant. Ce serait une belle opposition par rapport au début tel que tu le décris, à cette chute de plomb qui déclenche tout.
Une chose est de plus en plus claire pour moi: il faut que, musicalement, tout jaillisse littéralement du néant. Le principe de base doit être le suivant (pour rester dans le sens du visuel): un silence de plomb et une fosse d'orchestre réellement muette, ensuite "amenée à jouer", puis une quasi-formulation du mutisme, le silence si tu veux, un frémissement de fond qui tantôt s'amplifie, de véritables sons, des hauteurs tonales, ensuite de nouveau le silence, puis des hésitations, comme un tâtonnement et avant tout, de nouveau, le silence. Je crois (d'après tout ce que j'ai pu déduire de ta lettre) que tout ce qui suit n'a pas lieu d'être: une dramaturgie classique, encore moins une dramaturgie d'opéra. Rien qui puisse se fonder sur une forme traditionnelle d'intensification. Le mieux serait — et tu me comprends bien ici — que l'on ne perçoive absolument pas la musique comme telle. Elle n'est pas là non plus. Elle deviendra plus concrète lors des transitions (d'une île à l'autre), elle pourra même prendre une forme plus tangible (quelques secondes et peut-être même une à deux minutes; ainsi, une apparition ritualisée "artificielle" d'Isabel pourrait être magique). La musique n'aura le droit d'éclater, de gémir, de glapir que dans quelques passages que tu devras définir (comme le plomb du début). Mais écoute donc peut-être encore une fois le nº2 des "Pièces libres". (À ce propos, je pense toujours au dangereux côté branlant de tes tours.) C'est un son infernal que l'on entend d'abord de loin et qui se rapproche de façon menaçante (grâce à une structure glissando systématique, mais qui reste curieusement abstraite). Est-elle encore trop concrète? Il en émane une aura apocalyptique, menaçante et fantomatique.
Excerto (2º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Une chose est de plus en plus claire pour moi: il faut que, musicalement, tout jaillisse littéralement du néant. Le principe de base doit être le suivant (pour rester dans le sens du visuel): un silence de plomb et une fosse d'orchestre réellement muette, ensuite "amenée à jouer", puis une quasi-formulation du mutisme, le silence si tu veux, un frémissement de fond qui tantôt s'amplifie, de véritables sons, des hauteurs tonales, ensuite de nouveau le silence, puis des hésitations, comme un tâtonnement et avant tout, de nouveau, le silence. Je crois (d'après tout ce que j'ai pu déduire de ta lettre) que tout ce qui suit n'a pas lieu d'être: une dramaturgie classique, encore moins une dramaturgie d'opéra. Rien qui puisse se fonder sur une forme traditionnelle d'intensification. Le mieux serait — et tu me comprends bien ici — que l'on ne perçoive absolument pas la musique comme telle. Elle n'est pas là non plus. Elle deviendra plus concrète lors des transitions (d'une île à l'autre), elle pourra même prendre une forme plus tangible (quelques secondes et peut-être même une à deux minutes; ainsi, une apparition ritualisée "artificielle" d'Isabel pourrait être magique). La musique n'aura le droit d'éclater, de gémir, de glapir que dans quelques passages que tu devras définir (comme le plomb du début). Mais écoute donc peut-être encore une fois le nº2 des "Pièces libres". (À ce propos, je pense toujours au dangereux côté branlant de tes tours.) C'est un son infernal que l'on entend d'abord de loin et qui se rapproche de façon menaçante (grâce à une structure glissando systématique, mais qui reste curieusement abstraite). Est-elle encore trop concrète? Il en émane une aura apocalyptique, menaçante et fantomatique.
Excerto (2º) da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
sexta-feira, 19 de março de 2010
Cosa Nostra
Nuno Vasconcellos, Presidente da Ongoing disse na Assembleia da República
que nem a PT, nem o Fundo de Pensões da PT, nem qualquer outra empresa do universo
PT investiram, directa ou indirectamente, no Grupo Ongoing. Nuno Vasconcellos
especificou depois que o investimento da PT foi feito na OngoingInternational Partners,
uma empresa gestora de investimentos com sede no Luxemburgo, a qual "não pertence ao
grupo Ongoing", mas apenas à sua família, da qual constitui o braço financeiro. Portanto,
sendo a compra da TVI feita directamente pelo Grupo Ongoing, fica provado que o dinheiro
da PT nunca poderia ter sido aplicado na compra da TVI. Claro!...O dinheiro da PT serviu
apenas para financiar o braço financeiro da família, para o braço financeiro da família
financiar o Grupo Ongoing, para o Grupo Ongoing, entre outros investimentos possíveis,
comprar a TVI. Claro que a cor do dinheiro aplicado na compra da TVI pelo Grupo Ongoing
era completamente diferente da cor daquele que a PT investiu no braço financeiro da família,
a Ongoing International Partners!...
Ler o post aqui.
Continuo sem perceber porque é que na Sicília continuam a mandar os "boys" estagiar no
Bronx ou em Singapura quando a "escola" aqui em Lisboa é tão boa...
Nuno Vasconcellos, Presidente da Ongoing disse na Assembleia da República
que nem a PT, nem o Fundo de Pensões da PT, nem qualquer outra empresa do universo
PT investiram, directa ou indirectamente, no Grupo Ongoing. Nuno Vasconcellos
especificou depois que o investimento da PT foi feito na OngoingInternational Partners,
uma empresa gestora de investimentos com sede no Luxemburgo, a qual "não pertence ao
grupo Ongoing", mas apenas à sua família, da qual constitui o braço financeiro. Portanto,
sendo a compra da TVI feita directamente pelo Grupo Ongoing, fica provado que o dinheiro
da PT nunca poderia ter sido aplicado na compra da TVI. Claro!...O dinheiro da PT serviu
apenas para financiar o braço financeiro da família, para o braço financeiro da família
financiar o Grupo Ongoing, para o Grupo Ongoing, entre outros investimentos possíveis,
comprar a TVI. Claro que a cor do dinheiro aplicado na compra da TVI pelo Grupo Ongoing
era completamente diferente da cor daquele que a PT investiu no braço financeiro da família,
a Ongoing International Partners!...
Ler o post aqui.
Continuo sem perceber porque é que na Sicília continuam a mandar os "boys" estagiar no
Bronx ou em Singapura quando a "escola" aqui em Lisboa é tão boa...
terça-feira, 16 de março de 2010
Au Commencement (V)
Freiburg, 6 Janvier 2009
Cher Anselm
Sois remercié pour ton exhaustive et belle lettre. Elle m'a beaucoup touché, mais aussi troublé. Touché parce que j'ai ressenti la passion avec laquelle elle a été écrite et la sensibilité qui, jusqu'alors, a rendu l'atmosphère de nos rencontres pleine à la fois d'une fragile tendresse et d'euphorie. Troublé (et de nouveau ému) parce que tu parles de ce qui m'est le plus intime, de ma musique, avec une connaissance et une justesse très rarement rencontrées. En cela, tu nommes aussi très clairement un déficit, qui est ici plutôt un excès, un "trop" (du moins en ce qui concerne notre projet commun). Je comprends maintenant beaucoup mieux qu'auparavant où et dans quelle direction (au début) tu souhaites qu'aille le voyage. L'exemple que tu donnes en décrivant la manière dont tu commences un tableau, en y mettant beaucoup de couleurs que tu recouvres de nombreuses couches de gris pour l'atténuer, rend tout cela très tangible. Mais en même temps, je sens monter en moi un malaise. Quelles seront les sonorités de la musique au début? Quelles fonctions auront-elles dans la mise en scène? Tu écris être préoccupé par le fait que, sur la scène, les îles pourraient être "illustrées" par la musique. En fait, inventer une musique caractéristique pour chaque île nous aurait aidés à trouver une structure, une structure dans la succession chronologique, mais surtout aussi la possibilité de créer des contrastes. Maintenant, je comprends mieux qu'au fond il s'agit avant tout, pour toi, de simultanéité. D'un point de vue purement musical, je crains un peu une certaine uniformité qui pourrait aisément dériver dans le sens d'une soupe musicale grise. à mon avis, il s'agit d'éviter cela à plusieurs endroits. Ce serait dommage d'arriver à des situations qui ne permettraient plus aucun développement. Cela reviendrait à avoir une sorte de soundtrack qui donnerait l'ambiance de base. Il est clair pour moi que cela est très loin de ce que tu souhaites. Intérieurement, je n'ai pas encore trouvé de correspondance pour l'idée d'interruption. Avec le langage, oui, de même gestuellement, une scène peut se "geler", mais peut-être est-ce aussi, chez moi, une fausse peur face à une trop grande uniformité et face à la prévisibilité.
Cela peut être profondément bouleversant si quelque chose se brise dans un ou plusieurs passages importants pour l'intensité dramatique, si la musique commence à bégayer ou même bascule dans le mutisme total. Mais pour cela, il faudrait d'abord avoir un flux pour que son interruption et l'impression statique qui en résulterait puissent être ressenties comme une rupture, comme l'extraordinaire, comme une chose fatale. Ce que tu esquisses avec beaucoup de conviction me semble relever précisément de la démarche inverse. L'interruption en soi est posée comme la norme, la valeur intrinsèque. En tant que musicien, je me sens mis en danger. D'un point de vue dramaturgique, cette figure de style peut très aisément devenir lassante. (D'un point de vue musical, il faut pouvoir concrètement se représenter cette interruption permanente.) Laisse-moi un peu piocher le problème. Peut-être qu'un vocabulaire musical de base va surgir dans ma tête, une sonorité fondamentale qui serait à la fois cohérente et pourtant très différenciée.
Excerto da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Cher Anselm
Sois remercié pour ton exhaustive et belle lettre. Elle m'a beaucoup touché, mais aussi troublé. Touché parce que j'ai ressenti la passion avec laquelle elle a été écrite et la sensibilité qui, jusqu'alors, a rendu l'atmosphère de nos rencontres pleine à la fois d'une fragile tendresse et d'euphorie. Troublé (et de nouveau ému) parce que tu parles de ce qui m'est le plus intime, de ma musique, avec une connaissance et une justesse très rarement rencontrées. En cela, tu nommes aussi très clairement un déficit, qui est ici plutôt un excès, un "trop" (du moins en ce qui concerne notre projet commun). Je comprends maintenant beaucoup mieux qu'auparavant où et dans quelle direction (au début) tu souhaites qu'aille le voyage. L'exemple que tu donnes en décrivant la manière dont tu commences un tableau, en y mettant beaucoup de couleurs que tu recouvres de nombreuses couches de gris pour l'atténuer, rend tout cela très tangible. Mais en même temps, je sens monter en moi un malaise. Quelles seront les sonorités de la musique au début? Quelles fonctions auront-elles dans la mise en scène? Tu écris être préoccupé par le fait que, sur la scène, les îles pourraient être "illustrées" par la musique. En fait, inventer une musique caractéristique pour chaque île nous aurait aidés à trouver une structure, une structure dans la succession chronologique, mais surtout aussi la possibilité de créer des contrastes. Maintenant, je comprends mieux qu'au fond il s'agit avant tout, pour toi, de simultanéité. D'un point de vue purement musical, je crains un peu une certaine uniformité qui pourrait aisément dériver dans le sens d'une soupe musicale grise. à mon avis, il s'agit d'éviter cela à plusieurs endroits. Ce serait dommage d'arriver à des situations qui ne permettraient plus aucun développement. Cela reviendrait à avoir une sorte de soundtrack qui donnerait l'ambiance de base. Il est clair pour moi que cela est très loin de ce que tu souhaites. Intérieurement, je n'ai pas encore trouvé de correspondance pour l'idée d'interruption. Avec le langage, oui, de même gestuellement, une scène peut se "geler", mais peut-être est-ce aussi, chez moi, une fausse peur face à une trop grande uniformité et face à la prévisibilité.
Cela peut être profondément bouleversant si quelque chose se brise dans un ou plusieurs passages importants pour l'intensité dramatique, si la musique commence à bégayer ou même bascule dans le mutisme total. Mais pour cela, il faudrait d'abord avoir un flux pour que son interruption et l'impression statique qui en résulterait puissent être ressenties comme une rupture, comme l'extraordinaire, comme une chose fatale. Ce que tu esquisses avec beaucoup de conviction me semble relever précisément de la démarche inverse. L'interruption en soi est posée comme la norme, la valeur intrinsèque. En tant que musicien, je me sens mis en danger. D'un point de vue dramaturgique, cette figure de style peut très aisément devenir lassante. (D'un point de vue musical, il faut pouvoir concrètement se représenter cette interruption permanente.) Laisse-moi un peu piocher le problème. Peut-être qu'un vocabulaire musical de base va surgir dans ma tête, une sonorité fondamentale qui serait à la fois cohérente et pourtant très différenciée.
Excerto da carta (resposta) de Jörg Widmann a Anselm Kiefer, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Crime et châtiment
Crime et châtiment é a exposição que inaugura hoje no Museu d’Orsay. A exposição percorre um período de cerca de 2 séculos, de 1791 até 1981. Para além do crime, trata-se do problema do Mal e da inquietação metafísica, para lá das suas circunstâncias sociais. As representações do crime e da pena capital sempre fascinaram os pintores, de Goya a Géricault, de Picasso a Magritte, ou mais recentemente Andy Warhol. Igualmente o cinema faz desta temática a sua preferida: o crime e a violência, transformadas estas representações em prazer e voluptuosidade.
Estética da violência ou a violência da estética é a temática que esta exposição aborda tirando o seu título de uma obra de Dostoievski.
Estética da violência ou a violência da estética é a temática que esta exposição aborda tirando o seu título de uma obra de Dostoievski.
domingo, 14 de março de 2010
Au Commencement (IV)
J'aimerais éviter que l'idée des îles évoquée lors de notre dernière rencontre te conduise vers une fausse piste. J'avais dit que l'on jouerait non seulement sur la scène de la Bastille mais aussi sur tous les autres plateaux, même sur ceux où, normalement, on entrepose les décors. Il s'agit donc non d'une scène mais d'un paysage qui déborde des deux côtés, y compris là où une partie des spectateurs ne peuvent rien voir. Nous jouerons aussi dans le fond de scène, près des ateliers. Il y aura ainsi des îles avec différentes actions, par exemple des femmes trieuses de décombres qui séparent les pierres à la pioche. À d'autres endroits ou fera couler de l'eau autour des lits de plomb (mythe de Lilith), ou encore des jarres exploseront, que la récitante tentera de reconstituer (Shevirath Ha-kelim) et bien d'autres choses... Voilà. J'imagine que cela te passionnera d'inventer une musique pour chacune de ces îles. Et, d'après ce que j'ai pu écouter de toi, tu y réussiras parfaitement, avec la richesse musicale dont tu disposes.
Tu ne devrais pas jouer les îles, mais être le courant qui les relie.
Il y a un passage dans Les Métamorphoses où Ovide évoque l'idée que tout se transforme, rien ne disparaît. L'esprit vagabonde, il part de là et arrive ici et, d'ici, il retourne là-bas... Tout est flux, et chaque tableau prend forme tandis qu'il passe et disparaît. Oui, même les temps s'éloignent en glissant comme dans un mouvement perpétuel. Rien d'autre qu'un courant. Car ni le fleuve ni l'heure éphémère ne s'arrêtent. Les temps s'enfuient comme la vague poussée par une autre vague qui, en surgissant, semble poussée par la précédente, qu'elle refoule en un même mouvement... Je crois que, chez Ovide, ce passage exprime précisément ce à quoi je pense ici. Il y a déjà quelque chose de cela dans tes "Piècs libres pour ensemble" et surtout dans les morceaux 6 et 10 et au début du onzième. Il y a aussi exactement cette chose à laquelle je pense dans les trois premières minutes de "Labyrinthe".
La musique arrive, elle circule, s'éloigne. Elle arrive de loin, d'ailleurs. Elle semble avoir déjà commencé bien avant que les spectateurs se soient rassemblés dans la Bastille. Elle tourne autour des tours, se pose et s'interrompt. Elle faiblit et retourne au commencement... Elle reste en suspens, s'interrompt, comme étonnée. Je pense aux premières tentatives de vol des frères Wright, à ces quelques mètres seulement avant que leur engin retombe sur la terre ferme. Ou bien je pense au troglodyte, un oiseau qui ne peut pas voler très haut et qui se faufile dans les trous de souris ou les crevasses du sol. Son père, Triptolème, est l'inventeur de la charrue. Saint Molin, d'Irlande, bannit tous les troglodytes parce que l'un d'entre eux avait gobé sa mouche favorite, celle qui lui faisait de la musique. Je raconte cela parce que ce serait merveilleux d'avoir un orchestre de 100 musiciens cherchant à pénètrer le secret de la musique d'une seule mouche.
Je pense qu'il y aura une chute de plomb au début. Tu n'as encore jamais vu cela, mais j'ai déjà fait des tests lors des derniers essais de construction: le plomb tombe du ciel avec fracas, puis commence une musique qui était là depuis longtemps, comme le vent qui souffle dans diverses directions.
On peut lire dans les textes qu'il existe des vents justes et des vents mauvais. Les maladies viennent des vents qui pénètrent les 84000 orifices du corps, ce sont les points d'acupuncture. Le vent, disait-on, sortait de la gueule des serpents. Les chamans portaient des serpents enroulés autour d'eux pour que, d'un souffle, ils les envoient dans un autre monde.
On dit de Confucius qu'il savait d'où soufflait le vent. Si nous nous l'ignorons, la musique échoue.
Anselm
Excerto da carta de Anselm Kiefer a Jörg Widmann, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Tu ne devrais pas jouer les îles, mais être le courant qui les relie.
Il y a un passage dans Les Métamorphoses où Ovide évoque l'idée que tout se transforme, rien ne disparaît. L'esprit vagabonde, il part de là et arrive ici et, d'ici, il retourne là-bas... Tout est flux, et chaque tableau prend forme tandis qu'il passe et disparaît. Oui, même les temps s'éloignent en glissant comme dans un mouvement perpétuel. Rien d'autre qu'un courant. Car ni le fleuve ni l'heure éphémère ne s'arrêtent. Les temps s'enfuient comme la vague poussée par une autre vague qui, en surgissant, semble poussée par la précédente, qu'elle refoule en un même mouvement... Je crois que, chez Ovide, ce passage exprime précisément ce à quoi je pense ici. Il y a déjà quelque chose de cela dans tes "Piècs libres pour ensemble" et surtout dans les morceaux 6 et 10 et au début du onzième. Il y a aussi exactement cette chose à laquelle je pense dans les trois premières minutes de "Labyrinthe".
La musique arrive, elle circule, s'éloigne. Elle arrive de loin, d'ailleurs. Elle semble avoir déjà commencé bien avant que les spectateurs se soient rassemblés dans la Bastille. Elle tourne autour des tours, se pose et s'interrompt. Elle faiblit et retourne au commencement... Elle reste en suspens, s'interrompt, comme étonnée. Je pense aux premières tentatives de vol des frères Wright, à ces quelques mètres seulement avant que leur engin retombe sur la terre ferme. Ou bien je pense au troglodyte, un oiseau qui ne peut pas voler très haut et qui se faufile dans les trous de souris ou les crevasses du sol. Son père, Triptolème, est l'inventeur de la charrue. Saint Molin, d'Irlande, bannit tous les troglodytes parce que l'un d'entre eux avait gobé sa mouche favorite, celle qui lui faisait de la musique. Je raconte cela parce que ce serait merveilleux d'avoir un orchestre de 100 musiciens cherchant à pénètrer le secret de la musique d'une seule mouche.
Je pense qu'il y aura une chute de plomb au début. Tu n'as encore jamais vu cela, mais j'ai déjà fait des tests lors des derniers essais de construction: le plomb tombe du ciel avec fracas, puis commence une musique qui était là depuis longtemps, comme le vent qui souffle dans diverses directions.
On peut lire dans les textes qu'il existe des vents justes et des vents mauvais. Les maladies viennent des vents qui pénètrent les 84000 orifices du corps, ce sont les points d'acupuncture. Le vent, disait-on, sortait de la gueule des serpents. Les chamans portaient des serpents enroulés autour d'eux pour que, d'un souffle, ils les envoient dans un autre monde.
On dit de Confucius qu'il savait d'où soufflait le vent. Si nous nous l'ignorons, la musique échoue.
Anselm
Excerto da carta de Anselm Kiefer a Jörg Widmann, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
terça-feira, 9 de março de 2010
Au Commencement (III)
Excerto da carta de Anselm Kiefer a Jörg Widmann, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Cher Jörg
J'ai écouté la musique que tu m'as récemment envoyée. Je suis en Autriche, loin de tout, et les sons sont tombés sur un terrain vierge où ils ont pu produire tout leur effet. Je suis très impressionné par la richesse des sonorités et des couleurs, par l'intensité dramatique des divers morceaux. Me fondant sur ce que j'ai écouté, je tente, avec des mots trop secs, de te laisser imaginer comment je vois notre oeuvre future. Dans la composition que tu m'as envoyée, je pressens un point de départ possible dans les passages suivants: nº 6 et 10 et le début du nº 11 des "Pièces libres pour ensemble", puis les trois premières minutes de "Labyrinthe".
Tu vois, j'ai sélectionné les morceaux les plus doux, les plus "pauvres", les plus retenus, les moins dramatiques, et j'ai laissé de côté ce que tu sais si bien faire: les timbres merveilleux, l'intensité dramatique, les surprises... car notre morceau/oeuvre s'appelle AU COMMENCEMENT. Tout est déjà advenu au commencement, car le commencement est la fin et à la fin se situe le commencement. Au commencement, il n'y a plus que le résiduel. Le commencement bégaie, il bégaie à cause des ruines nombreuses, c'est un élan sans cesse interrompu. Il tente de se reconstituer à partir des restes. À partir des reliquats.
Une couche de cendres recouvrira toute chose, la cendre, produit final et commencement (Phoenix renaissant de ses cendres). Tes superbes sonorités devraient se teinter de gris et devenir plus secrètes. Elles seront bien plus fortes encore en tant que sons contenus, ensevelis, surgissant de l'oubli...
La plupart du temps, je commence un tableau par une profusion de couleurs, je les atténue ensuite, toujours en les recouvrant de nombreuses couches de gris, le gris s'apparente au blanc, qui, chose connue, contient toutes les couleurs. Il est donc au commencement.
J'ai écouté la musique que tu m'as récemment envoyée. Je suis en Autriche, loin de tout, et les sons sont tombés sur un terrain vierge où ils ont pu produire tout leur effet. Je suis très impressionné par la richesse des sonorités et des couleurs, par l'intensité dramatique des divers morceaux. Me fondant sur ce que j'ai écouté, je tente, avec des mots trop secs, de te laisser imaginer comment je vois notre oeuvre future. Dans la composition que tu m'as envoyée, je pressens un point de départ possible dans les passages suivants: nº 6 et 10 et le début du nº 11 des "Pièces libres pour ensemble", puis les trois premières minutes de "Labyrinthe".
Tu vois, j'ai sélectionné les morceaux les plus doux, les plus "pauvres", les plus retenus, les moins dramatiques, et j'ai laissé de côté ce que tu sais si bien faire: les timbres merveilleux, l'intensité dramatique, les surprises... car notre morceau/oeuvre s'appelle AU COMMENCEMENT. Tout est déjà advenu au commencement, car le commencement est la fin et à la fin se situe le commencement. Au commencement, il n'y a plus que le résiduel. Le commencement bégaie, il bégaie à cause des ruines nombreuses, c'est un élan sans cesse interrompu. Il tente de se reconstituer à partir des restes. À partir des reliquats.
Une couche de cendres recouvrira toute chose, la cendre, produit final et commencement (Phoenix renaissant de ses cendres). Tes superbes sonorités devraient se teinter de gris et devenir plus secrètes. Elles seront bien plus fortes encore en tant que sons contenus, ensevelis, surgissant de l'oubli...
La plupart du temps, je commence un tableau par une profusion de couleurs, je les atténue ensuite, toujours en les recouvrant de nombreuses couches de gris, le gris s'apparente au blanc, qui, chose connue, contient toutes les couleurs. Il est donc au commencement.
Excerto da carta de Anselm Kiefer a Jörg Widmann, Janeiro de 2009, traduzido do alemão por Catherine Métais in Au Commencement.
Cosa Nostra
" O desejo do Governo é que não se aumentem impostos na Legislatura e consigamos fazer essa perspectiva até 2013. É a nossa vontade, é a nossa orientação», sustentou o primeiro-ministro, em declarações aos jornalistas à saída do debate quinzenal na Assembleia da República. - José Sócrates, 15-01-2010
Mais aqui.
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segunda-feira, 8 de março de 2010
Au Commencement (II)
L'absurdité de l'histoire, j'en ai trouvé l'exemple le plus pertinent au V siècle avant Jésus-Christ, dans l'Ancien Testament, chez Isaïe et Jérémie.
Après chaque anéantissement subsiste un reste que Dieu préserve, à la manière d'un germe destiné à la création d'une nouvelle évolution, tel qu'avec Noé ou Sodome et Gomorrhe.
Imaginons qu'après l'extinction de notre monde une autre évolution se substitue à la nôtre. Elle est certainement déjà en germe sous la forme de bactéries, prisonnières des glaciers de l'Arctique ou des sédiments des profondeurs marines. Elles donneront naissance à d'autres êtres vivants, à une nouvelle évolution qui n'aura rien de comparable à la nôtre et qui risque même de lui être supérieure. Car, enfin, nous ne sommes pas le centre du monde.
Il nous faut envisager les décombres de l'histoire non pas comme une fin mais comme un commencement.
L'oeuvre d'art elle-même est un commencement, un saut, une avancée, même si elle est voilée, où tout ce qui advient a déjà été franchi. Le commencement dissimulant la fin qu'il recèle.
La ligne ascendante salvatrice, la rédemption, le Jugement dernier n'auront pas lieu. L'Ancien Testament vu comme un déclin continu, comme un voyage au bout de la nuit, est un leurre, la carotte qui fait avancer l'âne.
Le vent souffle sur les ruines transportant le sable qui se dépose sur les villes, les enfouissant.
Le vent est un ennemi qui assèche, refroidit..., apporte la canicule, les sauterelles, la poussière.
Brise parfumée au printemps, il devient hurlement dès l'automne. Fléau infatigable, il pénètre les 84 000 orifices du corps, provoquant les maladies par centaines.
Le vent souffle et les générations sont feuilles qu'il emporte.
Sont ici empilés 12 millénaires de briques. Elles proviennent d'Uruk, d'Ur, de Babylone, de Jéricho, de Catal Huyuk, de Kish, d'Ebla, de Persépolis, d'Alalakh, de Ninive, d'Ugarit, d'Eléphantine, de Memphis, d'Héliopolis, de Saïs, de Thèbes, de Milet, d'Arzawa, de Suze..., de l'empire d'Akkad...
Les dernières datent de 1945, en Allemagne. Ces briques et ces femmes qui les déblayent forment la dernière strate, une nano-strate en haut des décombres de l'histoire.
Elles sont à la fois le commencement et la fin.
La chekhina incarne le peuple juif, élu et banni. Elle ère à travers le temps et l'espace, espérant la venue du Messie. Elle arpente la scène en dessinant les limites, se dirigeant là où il n'y a rien d'autre que le néant.
Aller et retour.
Incapable d'assembler ce qui a été brisé.
Anselm Kiefer in Au Commencement, Paris, 11 Mai 2009.
Après chaque anéantissement subsiste un reste que Dieu préserve, à la manière d'un germe destiné à la création d'une nouvelle évolution, tel qu'avec Noé ou Sodome et Gomorrhe.
Imaginons qu'après l'extinction de notre monde une autre évolution se substitue à la nôtre. Elle est certainement déjà en germe sous la forme de bactéries, prisonnières des glaciers de l'Arctique ou des sédiments des profondeurs marines. Elles donneront naissance à d'autres êtres vivants, à une nouvelle évolution qui n'aura rien de comparable à la nôtre et qui risque même de lui être supérieure. Car, enfin, nous ne sommes pas le centre du monde.
Il nous faut envisager les décombres de l'histoire non pas comme une fin mais comme un commencement.
L'oeuvre d'art elle-même est un commencement, un saut, une avancée, même si elle est voilée, où tout ce qui advient a déjà été franchi. Le commencement dissimulant la fin qu'il recèle.
La ligne ascendante salvatrice, la rédemption, le Jugement dernier n'auront pas lieu. L'Ancien Testament vu comme un déclin continu, comme un voyage au bout de la nuit, est un leurre, la carotte qui fait avancer l'âne.
Le vent souffle sur les ruines transportant le sable qui se dépose sur les villes, les enfouissant.
Le vent est un ennemi qui assèche, refroidit..., apporte la canicule, les sauterelles, la poussière.
Brise parfumée au printemps, il devient hurlement dès l'automne. Fléau infatigable, il pénètre les 84 000 orifices du corps, provoquant les maladies par centaines.
Le vent souffle et les générations sont feuilles qu'il emporte.
Sont ici empilés 12 millénaires de briques. Elles proviennent d'Uruk, d'Ur, de Babylone, de Jéricho, de Catal Huyuk, de Kish, d'Ebla, de Persépolis, d'Alalakh, de Ninive, d'Ugarit, d'Eléphantine, de Memphis, d'Héliopolis, de Saïs, de Thèbes, de Milet, d'Arzawa, de Suze..., de l'empire d'Akkad...
Les dernières datent de 1945, en Allemagne. Ces briques et ces femmes qui les déblayent forment la dernière strate, une nano-strate en haut des décombres de l'histoire.
Elles sont à la fois le commencement et la fin.
La chekhina incarne le peuple juif, élu et banni. Elle ère à travers le temps et l'espace, espérant la venue du Messie. Elle arpente la scène en dessinant les limites, se dirigeant là où il n'y a rien d'autre que le néant.
Aller et retour.
Incapable d'assembler ce qui a été brisé.
Anselm Kiefer in Au Commencement, Paris, 11 Mai 2009.
sexta-feira, 5 de março de 2010
Au Commencement (I)
Écoutons la parole des prophètes Isaïe et Jérémie — en ces temps, les VII et VI siècles avant Jésus-Christ, où le peuple élu connaissait la déroute, était malmené par les grandes puissances du Croissant fertile, l'Égypte et la Mésopotamie, où Dieu semblait être un dieu vengeur, terrible, exterminateur, arbitraire et d'une inexplicable cruauté. Les plaintes, les accusations de Job à l'encontre du divin résonnèrent alors dans les trois religions issues d'Abraham.
On rencontre ces mêmes accusations chez les soufis et plus particulièrement chez Sanaï au XI siècle, chez Attar au XII siècle ou encore chez Rumi au XIII siècle.
Puis il y eut Jésus sur la croix qui s'écria: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'a-tu abandonné?" Et cela continua jusqu'à la guerre de Trente Ans.
Cet abandon de Dieu, nous le croisons à travers les siècles, dans différentes cultures. Ainsi chez Andreas Gryphius (mort en 1664) qui nous enseigne: "Je pleure jour et nuit, je me languis de mille maux, désormais, nous sommes en entier, oui plus qu'entièrement anéantis".
Dès le début des temps, conscients de l'imperfection du monde, les prophètes exhortèrent à la négation de l'être.
Le "Je souhaiterais ne jamais être né" traverse les siècles et les civilisations, d'Hésiode à Hérodote, Euripide, Socrate, Sénèque... jusqu'à Jésus qui, à propos de Judas, s'écria: "Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne soit pas né."
Il en est de même d'Omar Khayyâm, au XI siècle, selon lequel, "(...) si les êtres à naïtre savaient toutes les souffrances que nous endurons, ils ne viendraient pas à notre rencontre".
Et d'Ibn Abi Dounia, mort en 894, qui recense prophètes et saints qui refusaient d'être, mais qui, une fois sur Terre, aspiraient à n'être que pâturage pour les chameaux.
Heinrich Heine enfim qui, grabataire à Paris, retrouve le chemin de Dieu afin de mieux le maudire.
Anselm Kiefer in Au Commencement, Paris, 11 Mai 2009.
On rencontre ces mêmes accusations chez les soufis et plus particulièrement chez Sanaï au XI siècle, chez Attar au XII siècle ou encore chez Rumi au XIII siècle.
Puis il y eut Jésus sur la croix qui s'écria: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'a-tu abandonné?" Et cela continua jusqu'à la guerre de Trente Ans.
Cet abandon de Dieu, nous le croisons à travers les siècles, dans différentes cultures. Ainsi chez Andreas Gryphius (mort en 1664) qui nous enseigne: "Je pleure jour et nuit, je me languis de mille maux, désormais, nous sommes en entier, oui plus qu'entièrement anéantis".
Dès le début des temps, conscients de l'imperfection du monde, les prophètes exhortèrent à la négation de l'être.
Le "Je souhaiterais ne jamais être né" traverse les siècles et les civilisations, d'Hésiode à Hérodote, Euripide, Socrate, Sénèque... jusqu'à Jésus qui, à propos de Judas, s'écria: "Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne soit pas né."
Il en est de même d'Omar Khayyâm, au XI siècle, selon lequel, "(...) si les êtres à naïtre savaient toutes les souffrances que nous endurons, ils ne viendraient pas à notre rencontre".
Et d'Ibn Abi Dounia, mort en 894, qui recense prophètes et saints qui refusaient d'être, mais qui, une fois sur Terre, aspiraient à n'être que pâturage pour les chameaux.
Heinrich Heine enfim qui, grabataire à Paris, retrouve le chemin de Dieu afin de mieux le maudire.
Anselm Kiefer in Au Commencement, Paris, 11 Mai 2009.
quinta-feira, 4 de março de 2010
A ver
Hoje e amanhã: livros na Wook com menos 20%. Aqui.
Hoje e amanhã: livros na Wook com menos 20%. Aqui.
terça-feira, 2 de março de 2010
Páginas notáveis (22)
L'ethnologie a toujours affaire à au moins deux espaces: celui du lieu qu'elle étudie (un village, une entreprise) et celui, plus vaste, où ce lieu s'inscrit et d'où s'exercent des influences et des contraintes qui ne sont pas sans effet sur le jeu interne des relations locales (l'ethnie, le royaume, l'Etat). L'ethnologue est ainsi condamné au strabisme méthodologique: il ne doit perdre de vue ni le lieu immédiat de son observation ni les frontières pertinentes de ses marches extérieures.
Dans la situation de surmodernité, une partie de cet extérieur est faite de non-lieux et une partie de ces non-lieux d'images. La fréquentation des non-lieux, aujourd'hui, est l'occasion d'une expérience sans véritable précédent historique d'individualité solitaire et de médiation non humaine (il suffit d'une affiche ou d'un écran) entre l'individu et la puissance publique.
L'ethnologue des sociétés contemporaines retrouve donc la présence individuelle dans l'univers englobant où il était traditionnellement habitué à repérer les déterminants généraux qui donnaient sens aux configurations particulières ou aux accidents singuliers.
Ne voir dans ce jeu d'images qu'une illusion (une forme post-moderne d'aliénation) serait une erreur. L'analyse de ses déterminations n'a jamais épuisé la réalité d'un phénomène. Ce qui est significatif dans l'expérience du non-lieu, c'est sa force d'attraction, inversement proportionnelle à l'attraction territoriale, aux pesanteurs du lieu et de la tradition. La ruée des automobilistes sur la route du week-end ou des vacances, les difficultés des aiguilleurs du ciel à maîtriser l'encombrement des voies aériennes, le succès des nouvelles formes de distribution en témoignent à l'évidence. Mais aussi des phénomènes qu'en première apparence on pourrait imputer au souci de défendre les valeurs territoriales ou de retrouver les identités patrimoniales. Si les immigrés inquiètent si fort (et souvent si abstraitement) les gens installés, c'est peut-être d'abord parce qu'ils leur démontrent la relativité des certitudes inscrites dans le sol: c'est l'émigré qui les inquiète et les fascine à la fois dans le personnage de l'immigré. Si nous sommes bien obligés, au spectacle de l'Europe contemporaine, d'évoquer le "retour" des nationalismes, peut-être devrions-nous porter attention à tout ce qui dans ce "retour" participe d'abord du rejet de l'ordre collectif: le modèle identitaire national est évidemment disponible pour donner forme à ce rejet, mais c'est l'image individuelle (l'image du libre parcours individuel) qui lui donne sens et l'anime aujourd'hui comme elle peut l'affaiblir demain.
Dans ses modalités modestes comme dans ses expressions luxueuses, l'expérience du non-lieu (indissociable d'une perception plus ou moins claire de l'accélération de l'histoire et du rétrécissement de la planète) est aujourd'hui une composante essentielle de toute existence sociale. D'où le caractère très particulier et au total paradoxal de ce que l'on considère parfois en Occident comme la mode du repli sur soi, du "cocooning": jamais les histoires individuelles (du fait de leur nécessaire rapport à l'espace, à l'image et à la consommation) n'ont été aussi prises dans l'histoire générale, dans l'histoire tout court. A partir de là, toutes les attitudes individuelles sont concevables: la fuite (chez soi, ailleurs), la peur (de soi, des autres), mais aussi l'intensité de l'expérience (la performance) ou la révolte (contre les valeurs établies). Il n'y a plus d'analyse sociale qui puisse faire l'économie des individus, ni d'analyse des individus qui puisse ignorer les espaces par où ils transitent.
Marc Augé in Non-Lieux, Indroduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992.
Dans la situation de surmodernité, une partie de cet extérieur est faite de non-lieux et une partie de ces non-lieux d'images. La fréquentation des non-lieux, aujourd'hui, est l'occasion d'une expérience sans véritable précédent historique d'individualité solitaire et de médiation non humaine (il suffit d'une affiche ou d'un écran) entre l'individu et la puissance publique.
L'ethnologue des sociétés contemporaines retrouve donc la présence individuelle dans l'univers englobant où il était traditionnellement habitué à repérer les déterminants généraux qui donnaient sens aux configurations particulières ou aux accidents singuliers.
Ne voir dans ce jeu d'images qu'une illusion (une forme post-moderne d'aliénation) serait une erreur. L'analyse de ses déterminations n'a jamais épuisé la réalité d'un phénomène. Ce qui est significatif dans l'expérience du non-lieu, c'est sa force d'attraction, inversement proportionnelle à l'attraction territoriale, aux pesanteurs du lieu et de la tradition. La ruée des automobilistes sur la route du week-end ou des vacances, les difficultés des aiguilleurs du ciel à maîtriser l'encombrement des voies aériennes, le succès des nouvelles formes de distribution en témoignent à l'évidence. Mais aussi des phénomènes qu'en première apparence on pourrait imputer au souci de défendre les valeurs territoriales ou de retrouver les identités patrimoniales. Si les immigrés inquiètent si fort (et souvent si abstraitement) les gens installés, c'est peut-être d'abord parce qu'ils leur démontrent la relativité des certitudes inscrites dans le sol: c'est l'émigré qui les inquiète et les fascine à la fois dans le personnage de l'immigré. Si nous sommes bien obligés, au spectacle de l'Europe contemporaine, d'évoquer le "retour" des nationalismes, peut-être devrions-nous porter attention à tout ce qui dans ce "retour" participe d'abord du rejet de l'ordre collectif: le modèle identitaire national est évidemment disponible pour donner forme à ce rejet, mais c'est l'image individuelle (l'image du libre parcours individuel) qui lui donne sens et l'anime aujourd'hui comme elle peut l'affaiblir demain.
Dans ses modalités modestes comme dans ses expressions luxueuses, l'expérience du non-lieu (indissociable d'une perception plus ou moins claire de l'accélération de l'histoire et du rétrécissement de la planète) est aujourd'hui une composante essentielle de toute existence sociale. D'où le caractère très particulier et au total paradoxal de ce que l'on considère parfois en Occident comme la mode du repli sur soi, du "cocooning": jamais les histoires individuelles (du fait de leur nécessaire rapport à l'espace, à l'image et à la consommation) n'ont été aussi prises dans l'histoire générale, dans l'histoire tout court. A partir de là, toutes les attitudes individuelles sont concevables: la fuite (chez soi, ailleurs), la peur (de soi, des autres), mais aussi l'intensité de l'expérience (la performance) ou la révolte (contre les valeurs établies). Il n'y a plus d'analyse sociale qui puisse faire l'économie des individus, ni d'analyse des individus qui puisse ignorer les espaces par où ils transitent.
Marc Augé in Non-Lieux, Indroduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992.